Les t‰ches de Comte,

quand un aviateur dŽbarque É

                                                                                                                                                                          Par Victor Schutters, petit-fils dĠun Ç Comte È

 

La prise en charge des aviateurs

Aprs avoir vŽcu un stress considŽrable durant lĠattaque de son avion par la dŽfense anti-aŽrienne allemande ou par des chasseurs ennemis, il ne restait plus ˆ lĠaviateur touchŽ que de sĠextirper de son appareil en flammes et de sauter en parachute.

Ce saut Žtait gŽnŽralement le premier quĠil faisait car les aviateurs ne recevaient que peu ou pas d'entra”nement parachutiste avant leurs missions au-dessus de lĠEurope.

La distance encore parcourue par lĠavion aprs le saut de lĠŽquipage, pouvait dans bien des cas tre de l'ordre de plusieurs kilomtres, ce qui explique pourquoi lĠaviateur ne tombait pas toujours prs du lieu du crash de son avion.

Ainsi, la premire chose quĠil avait ˆ faire, Žtait de cacher son parachute de manire ˆ ne pas se faire repŽrer par les Allemands qui se mettaient ˆ fouiller toutes les maisons des environs o lĠaviateur Žtait susceptible de se trouver.

LĠaviateur devait ensuite demander de lĠaide ˆ la population locale en espŽrant que lĠon serait disposŽ ˆ le cacher et ˆ prendre contact avec la RŽsistance qui sĠoccuperait de sa prise en charge. La chose nĠŽtait pas Žvidente car il nĠŽtait pas facile de se faire comprendre face ˆ des personnes qui ne parlaient pas toujours lĠanglais.

De plus, les autoritŽs allemandes avaient publiŽ un dŽcret stipulant que tout citoyen qui fournirait de l'aide ˆ un aviateur alliŽ serait passible de la peine de mort.

Ds que lĠaviateur avait pu trouver un refuge, la personne qui lĠhŽbergeait prenait gŽnŽralement contact avec lĠinstituteur, le curŽ ou le bourgmestre du village. Ces personnes connaissaient dans la plupart des cas un membre de la RŽsistance. Cependant, le rŽsistant ainsi contactŽ nĠappartenait pas nŽcessairement ˆ une ligne dĠŽvasion destinŽe ˆ venir en aide aux aviateurs ŽchouŽs sur le sol belge ou pays voisin. Il pouvait en effet sĠagir dĠun membre dĠun rŽseau sĠoccupant de presse clandestine ou d'un service de renseignement ou de sabotage. Sachant cela, le rŽseau Comte avait pris contact avec les diffŽrents groupes de RŽsistance afin que dans toutes les ŽventualitŽs, lĠaviateur serait amenŽ vers lui. 

Il arrivait que suite ˆ son saut en parachute, lĠaviateur se blessait et nŽcessitait certains soins. Il fallait dans ce cas faire appel ˆ un mŽdecin qui Žtait prt ˆ fournir son aide en toute discrŽtion. Car il Žtait malheureusement exclu dĠhospitaliser le blessŽ en cas de besoin et les conditions dans lesquelles devait alors intervenir le mŽdecin nĠŽtaient pas optimales. Parfois, une simple visite chez le dentiste nŽcessitait beaucoup de prŽcautions.

LĠidentification rigoureuse Žtait la premire chose que devait faire Comte ds la rŽception d'un aviateur. En effet, les Allemands avaient ˆ plusieurs reprises introduit de faux aviateurs dans la Ligne, comme on appelait le rŽseau Comte avant lĠarrestation de sa fondatrice AndrŽe De Jongh, le 15 janvier 1943. Il sĠagissait en fait de militaires allemands portant des uniformes britanniques ou amŽricains et qui ma”trisaient parfaitement lĠanglais. Comme on peut lĠimaginer, si de tels stratagmes nĠŽtaient pas dŽvoilŽs ˆ temps, les consŽquences pouvaient en tre dŽsastreuses.

 Mais lĠidentification des aviateurs nĠŽtait pas aisŽe car certains dĠentre eux trouvaient les questions qu'on leur posait trop prŽcises et craignaient que les rŽponses fournies puissent servir la cause des Allemands si elles Žtaient venues ˆ leur connaissance. En fait, avant leur dŽpart en mission, ils recevaient en Grande-Bretagne des consignes de sŽcuritŽ strictes.

En plus de la dŽclinaison de leur identitŽ, de leur grade et de leur numŽro de matricule, les questions portaient sur le type dĠavion ˆ bord duquel ils se trouvaient, la composition de leur Žquipage, lĠobjectif de leur mission et la rŽussite ou non de celle-ci.

Ils trouvrent une solution efficace : une fois le questionnaire complŽtŽ, il Žtait transmis ˆ lĠIntelligence Service de Londres qui pouvait alors procŽder ˆ des recoupements et transmettre ses conclusions par message codŽ quant ˆ la vŽracitŽ des dires de lĠaviateur.

En outre, lĠanalyse de lĠŽcriture des aviateurs donnait Žgalement de prŽcieuses indications. La manire de former les lettres par les Anglo-saxons se distinguait en effet nettement de lĠŽcriture allemande et certains petits dŽtails tels que le fait de ne pas barrer le chiffre sept Žtaient trs significatifs.

 Il arrivait Žgalement que lĠon demande ˆ un aviateur dŽjˆ pris en charge par Comte depuis un certain temps de procŽder ˆ lĠidentification dĠun nouvel arrivant. Des questions trs pointues telles que la demande par exemple de dŽcrire un aŽrodrome militaire anglais ou la place de Piccadilly Circus ˆ Londres pouvaient alors tre posŽes et dŽmasquer ˆ coups sžr tout usurpateur.

LĠŽtablissement de faux papiers dĠidentitŽ  suivait alors lĠidentification.

LĠaviateur Žtait dĠabord photographiŽ afin que lĠon puisse lui fabriquer une fausse carte dĠidentitŽ et une fausse carte de travail.

Dans un premier temps, les photos Žtaient rŽalisŽes dans des cabines photomaton mais les Allemands Žtant devenus suspicieux, on dŽcida de faire appel ˆ des photographes en qui on avait parfaite confiance.

A un moment donnŽ, Comte demanda mme ˆ Londres de doter les aviateurs de photos dĠidentitŽ qui le cas ŽchŽant pouvaient venir ˆ point.

Les documents vierges Žtaient soit fabriquŽs de toutes pices, soit subtilisŽs dans les administrations communales qui comptaient souvent des rŽsistants parmi leurs employŽs.

Quant aux cachets-tampons qui Žtaient apposŽs sur les faux documents, ils Žtaient soit subtilisŽs dans les bureaux officiels, soit contrefaits par des professionnels qui sĠŽtaient joints ˆ la RŽsistance.

LĠhŽbergement, si ce nĠŽtait pas dŽjˆ fait, Žtait alors lĠŽtape suivante. Il fallait donc trouver un endroit o lĠaviateur pouvait tre hŽbergŽ dĠune manire sžre en attendant son Žvacuation vers l'Angleterre.

LĠorganisation Comte faisait appel ˆ des personnes de confiance qui Žtaient prtes ˆ accueillir lĠŽvadŽ en toute discrŽtion. De manire ˆ limiter les risques, cette t‰che Žtait gŽnŽralement confiŽe ˆ des personnes nĠayant pas dĠenfants en ‰ge scolaire. Et si cela nĠŽtait pas possible, les aviateurs Žtaient par exemple prŽsentŽs aux enfants comme Žtant des cousins venant de loin, ce qui pouvait expliquer qu'on leur parlait anglais.

Afin de ne pas divulguer la prŽsence de lĠaviateur, il Žtait soit cachŽ dans le grenier ou dans la cave, soit il se tenait toujours prt ˆ dispara”tre en cas de visite impromptue (cache ou Žvasion prŽvue).

LĠalimentation reprŽsentait sans aucun doute avec lĠhŽbergement un des problmes les plus difficiles ˆ rŽsoudre. En effet, la population belge Žtait fortement rationnŽe, la nourriture souvent difficile ˆ trouver et de surcro”t de mauvaise qualitŽ.

Certaines denrŽes Žtaient fort chres et le fait dĠavoir une ou plusieurs bouches supplŽmentaires ˆ nourrir nĠŽtait pas Žvident.

Pour se donner une idŽe du rationnement infligŽ par les autoritŽs allemandes, notons que chacun avait droit par jour ˆ 20 grammes de viande, 200 grammes de pommes de terre, 225 grammes de pain et 7 grammes et demi de confiture et autant de miel.

Le contr™le de la distribution des denrŽes Žtait rŽgi par lĠoctroi de timbres numŽrotŽs et de diffŽrentes couleurs qui correspondait chacune ˆ une sorte de marchandise.

Devant la difficultŽ de sĠalimenter correctement via le ravitaillement officiel, les moins dŽmunis se tournaient vers le marchŽ noir o les prix Žtaient exorbitants. Les quelques exemples suivants ont sont la preuve : 1 kilo de sucre se vendait 125 BEF ; 1 kg de beurre, 325 BEF ; 1 kilo de viande, 200 BEF ; 1kilo de cafŽ, 2000 BEF, 1 kilo de pain blanc, 75 BEF ; une orange ou un citron, 25 BEF ; un Ïuf, 8 BEF ; É

Quand on pense ˆ lĠinflation qui a eu lieu depuis la guerre, on peut sĠimaginer les montants astronomiques que ces prix reprŽsentaient ˆ lĠŽpoque.

Les hŽbergeurs recevaient bien une aide financire de la trŽsorerie de Comte qui Žtait de lĠordre de 70 BEF par jour et par aviateur mais cela permettait difficilement de rŽpondre aux besoins vitaux et il fallait se dŽbrouiller comme on le pouvait.

Ainsi, pour pallier aux problmes dĠapprovisionnement en nourriture, les rŽsistants organisrent des raids qui consistaient ˆ reprendre aux Allemands ce quĠils avaient pris aux Belges car des trains entiers emmenaient des marchandises de la Belgique vers lĠAllemagne.

Par ailleurs pour en faire bŽnŽficier les personnes qui hŽbergeaient des aviateurs, les rŽsistants subtilisrent Žgalement des feuilles de timbres de rationnement.

LĠhabillement Žtait un autre problme. Comme toutes les autres denrŽes, les vtements Žtaient difficiles ˆ trouver. Au fur et ˆ mesure que les annŽes de guerre sĠŽcoulaient, les vtements qui ne pouvaient pas tre remplacŽs sĠusaient et Žtaient parfois rapiŽcŽs de toutes parts. Il fallut donc encore ruser pour parvenir ˆ vtir les aviateurs. Sans oublier que leur taille Žtait souvent supŽrieure ˆ celle des Belges et quĠil n'Žtait pas facile de les habiller dĠune manire sŽante qui n' Žveillerait pas les soupons.

Les dŽplacements dĠun lieu sžr ˆ un autre des aviateurs, au mme titre que leur hŽbergement, reprŽsentaient une t‰che risquŽe dont devaient sĠacquitter les membres de Comte. GŽnŽralement, l'aviateur Žtait tombŽ ˆ la campagne o il Žtait recueilli par un fermier. Aprs que le contact avec la RŽsistance fut Žtabli, on procŽdait ˆ son Žvacuation vers la ville o il Žtait souvent plus aisŽ de le cacher et de prŽparer son dŽpart pour lĠAngleterre.

Cependant, suite aux suspicions qui pouvaient appara”tre ou aux arrestations de certains membres de Comte, il fallait souvent trouver de nouvelles cachettes et assurer ˆ chaque fois les dŽplacements avec le plus de discrŽtion possible.

Comme les Allemands avaient rŽquisitionnŽ les voitures, il y en avait trs peu qui circulaient et ce moyen de transport nĠŽtait que trs peu utilisŽ. Les dŽplacements se faisaient donc en train pour les longues distances et en tramway au sein de la ville.

LĠavantage du tramway rŽsidait dans le fait que la destination nĠŽtait pas mentionnŽe sur le billet de transport et que lĠon pouvait changer plusieurs fois de vŽhicule pour aller dĠun endroit ˆ un autre. Cela permettait dĠŽviter dĠtre suivi ou du moins de sĠen rendre compte et dĠŽchapper au poursuivant dans ce cas.

Mais le tramway nĠavait pas que des avantages car les contr™les effectuŽs par les Allemands Žtaient frŽquents. Les voyageurs se voyaient alors obligŽs de descendre du vŽhicule et selon ce quĠils cherchaient, les Allemands procŽdaient ˆ la vŽrification des identitŽs ou du contenu des bagages.

LĠŽvacuation des aviateurs vers lĠEspagne afin quĠils puissent regagner leur base en Angleterre Žtait la t‰che finale et le principal objectif de Comte. Ce voyage Žtait planifiŽ ds que possible. Cependant, une distinction entre les aviateurs avait lieu en fonction du poste quĠils avaient occupŽ ˆ bord de leur avion. Ainsi, les pilotes dont la formation Žtait la plus longue, Žtaient ŽvacuŽs en prioritŽ.

CĠest alors que dŽbutait un long et pŽrilleux voyage. Les aviateurs Žtaient souvent ŽvacuŽs par groupes de deux ou de trois et Žtaient accompagnŽs dĠun guide qui veillait ˆ ce que tout se passe pour le mieux. En fait, ce voyage Žtait assurŽ par plusieurs guides qui effectuaient chacun une partie du parcours et qui se passaient le relais.

De manire ˆ ne pas se faire arrter, de nombreuses consignes devaient tre respectŽes. Ainsi, le guide avait soin de ne pas prendre des tickets de train dont la numŽrotation se suivait et qui en cas de contr™le auraient permis de supposer que lĠon voyageait ensemble.

Les contr™les pouvaient avoir lieu soit par diffŽrentes polices allemandes telles que la Gestapo, la Geheime Feldpolizei ou la Feldgendarmerie, soit par des contr™leurs qui traquaient notamment les personnes qui sĠadonnaient au marchŽ noir.

En cas de contr™le, les aviateurs avaient pour consigne de se faire passer pour sourd et muet car il Žtait pratiquement impossible de leur apprendre ˆ dŽcliner leur fausse identitŽ sans que leur accent anglo-saxon ne soit dŽvoilŽ. Si des questions supplŽmentaires leur avaient ŽtŽ posŽes, ils auraient d'ailleurs bien ŽtŽ embarrassŽs dĠy rŽpondreÉ

Et puis, lors des contr™les, il fallait Žgalement justifier sa prŽsence sur la partie de lĠitinŽraire que lĠon empruntait. CĠest pourquoi, les aviateurs recevaient ˆ chaque partie du trajet, des cartes dĠidentitŽ et des cartes de travail, de mme que des autorisations de circuler qui auraient pu leur tre dŽlivrŽes par les autoritŽs locales.

Pour ne pas attirer lĠattention, on faisait en sorte que ces faux papiers ne paraissent pas trop neufs en les ab”mant volontairement. La procuration de ces documents nĠŽtait Žvidemment pas aussi simple et il fallait tenir compte de tout changement de lĠautoritŽ qui les validait, sans quoi la signature imitŽe n'Žtait plus dĠactualitŽ.

Quant ˆ la route empruntŽe, plusieurs itinŽraires furent suivis et les Žtapes Žtaient nombreuses. LĠun de ces interminables voyages ˆ partir de Bruxelles, amenait les aviateurs jusquĠau village frontalier de Rumes, en Belgique, aprs avoir changŽ de train ˆ Tournai.

Le passage de la frontire franco-belge se faisait alors ˆ pied jusqu Ôau village de Bachy, en France, gr‰ce ˆ la complicitŽ de certains douaniers et ˆ lĠaide de guides qui connaissaient trs bien la rŽgion. Cependant, avant de passer la frontire, il Žtait impŽratif de vŽrifier que rien sur l'aviateur ne puisse donner idŽe d'o il venait. Il fallait le dŽpouiller de tout indice de son pays, de son escadrille, de son sŽjour chez des logeurs. C'Žtait capital. Ainsi, on veillait notamment ˆ ce que les poches, les souliers, les vtements des aviateurs ne contiennent aucun objet ou marque compromettant . En effet, la prŽsence sur eux de cigarettes ou dĠallumettes anglaises ou amŽricaines aurait bien vite laissŽ dŽtecter quĠils Žtaient des aviateurs alliŽs.

Par ailleurs, il arrivait quĠun aviateur soit tombŽ amoureux dĠune jeune fille qui lui Žtait venue en aide. Cela pouvait alors lui donner lĠenvie de conserver sur lui un nom, ou pire, une adresse ou une photo de la personne qui lui Žtait chre. Lˆ encore, il fallait lĠobliger ˆ se sŽparer de ces objets car le moindre petit papier aurait pu entra”ner un dŽsastre.

Aprs la frontire, on faisait prendre ˆ lĠaviateur le train jusquĠˆ Lillle. De lˆ, ils reprenaient un train jusquĠˆ Paris, puis un autre pour Bordeaux.

A Bordeaux, un train encore les emmenait ˆ Bayonne o ils se voyaient remettre des vŽlos qui leur servaient de moyen de transport ˆ travers les Landes jusquĠaux pieds des PyrŽnŽes. Certains montaient sur une bicyclette pour la premire fois de leur vie.

Aprs sĠtre restaurŽ et avoir repris des forces auprs de membres Comte qui assuraient le dernier relais, les aviateurs Žtaient conduits par un guide basque qui par des petits sentiers de contrebande les faisait franchir les PyrŽnŽes.

CĠest durant cette dernire rude Žpreuve physique quĠils devaient traverser la rivire Bidassoa qui en pŽriode de crues et par temps froid se rŽvŽlait tre un obstacle redoutable.

Enfin, arrivŽs ˆ Bilbao en Espagne, ils Žtaient pris en charge par le corps diplomatique britannique et emmenŽs en voiture jusquĠˆ Madrid.

De lˆ, toujours sous le couvert de lĠimmunitŽ diplomatique, ils Žtaient conduits jusquĠˆ Gibraltar dĠo ils regagnaient lĠAngleterre en bateau la plupart du temps.

LĠexpŽrience ainsi vŽcue par les aviateurs depuis leur saut en parachute jusquĠˆ leur retour ˆ leur base militaire en Angleterre peut donc sans aucun doute tre qualifiŽe de vŽritable ŽpopŽe.

Les difficultŽs rencontrŽes pour ne pas tomber aux mains des Allemands et lĠŽpuisant voyage destinŽ ˆ reprendre le combat en valait tout de mme la chandelle car lĠimpact psychologique sur le moral des aviateurs qui voyaient revenir leurs compagnons dĠescadrille Žtait extrmement positif.

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